Dakar est la capitale de l’art contemporain ­africain pour encore quelques jours. Et la ville continue de vivre au rythme des vernissages et performances artistiques.
Pourtant, constate Le Quotidien qui a mené une enquête sur le sujet, cette effervescence ­traduit très peu l’état d’un secteur qui souffre du regard que le commun des Sénégalais lui porte.
En effet, à l’exception de quelques rares élus, très peu d’artistes arrivent à vendre régulièrement leurs œuvres. Au pays de feu Léopold Sédar Senghor, protecteur des arts par excellence, l’art ne nourrit plus son homme.
Les artistes sont toujours plus talentueux, quelques amateurs se font une joie de collectionner leurs œuvres et de nouvelles galeries voient le jour un peu partout.
Mais faut-il pour autant parler d’un marché de l’art au Sénégal ? Les réponses divergent. Commissaire d’exposition et consultant en art, Mohamed Amine Cissé estime que oui.
«Si on part du principe qu’un marché c’est un produit donné, avec quelqu’un qui offre ce produit et quelqu’un qui veut l’acheter, alors oui, il y a un marché de l’art. Il y a beaucoup d’artistes contemporains et en face des gens qui achètent. Après, ce n’est pas un marché structuré, c’est un marché qui n’est pas encore mature, qui se développe petit à petit», souligne-t-il.
Pour le critique d’art, Aliou Ndiaye, au contraire, on ne peut pas parler d’un marché de l’art puisque les préalables, un milieu artistique bien organisé, des galeries qui exposent en permanence et qui ont une identité réelle, sont absents. 
Ce que conforte Dr Babacar Mbaye Diop, professeur assimilé au Département de philosophie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et directeur de l’Institut supérieur des arts et des cultures (Isac). 
«Un véritable marché de l’art suppose un cadre juridique avec des lois qui encadrent ce marché, l’expertise avec des antiquaires, des courtiers, des consultants, des commissaires d’exposition, commissaires-priseurs, des marchands d’art, des galeristes, des critiques d’art, etc., et la valorisation des œuvres d’art à travers des institutions commerciales, des maisons de vente, des galeries, des musées, des foires d’art, des festivals, des biennales, des revues et magazines d’art, etc. Je ne dis pas que tout cela n’existe pas au Sénégal, mais tous ces métiers qui tournent autour de l’art et du marché de l’art manquent cruellement au Sénégal», dit-il.
Il faut dire que le cœur du marché mondial de l’art palpite bien loin de nos cieux. «C’est hors du continent, et plus précisément en Occident, que se passe le vrai marché de l’art africain», souligne Dr Diop.
Et d’après les chiffres, seuls 8% des collectionneurs sont en Afrique. Et le Global Africa art market report 2016, fondé par le marchand d’art Jean-Philippe Aka, estime entre 300 à 400 millions de dollars américains les investissements des collectionneurs dans l’art africain, avec des acheteurs entre l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Maroc.
Parmi les plus grands acheteurs sénégalais, le nom du président du directoire du Consortium d’entreprise (Cse), Oumar Sow, revient très souvent. 
Considéré comme le plus grand collectionneur du pays, il s’est récemment associé à Biby Seck dans la Galerie Quatorzerohuit sur Ponty. Et certains ne doutent pas que de grands maîtres occidentaux figurent dans sa collection.
«Aujourd’hui, dans le marché de l’art, c’est forcément être à Paris, New York et Londres. Ces villes sont symboliques parce que c’est là qu’on retrouve les plus grandes maisons de vente d’art contemporain», souligne Aliou Ndiaye. Il y a Drouot, Gaïa et Cornette de Saint-Cyr à Paris, Christie’s et Bonhams à Londres, Sotheby’s aux Usa, Strauss & Co à Johannesburg, etc.
La cotation, un passage obligé 
L’Afrique est tout de même riche de ses artistes et évènements culturels d’envergure. La Biennale de l’art africain de Dakar, le Parcourt, les différentes biennales organisées un peu partout en Afrique, à Lubumbashi, Brazzaville, Marrakech… contribuent à booster un secteur artistique de plus en plus attractif et perçu désormais comme un marché où les œuvres d’art s’échangent selon des normes bien établies.
«Plus on est validé par l’international, plus ça monte», indique Mohamed Cissé. Il donne ainsi l’exemple de Badu Jakk, ce jeune artiste dont la côte ne cesse de monter.
«Alioune Diack, Badu Jakk de son nom d’artiste, est représenté ici par OH Gallery et en France, par Anne de Villepois, une grande galerie. Il a fait de très grandes expositions et est dans de très bonnes collections. Mais Aliou va être difficilement collectionnable par un Sénégalais. Ses toiles commencent à 10 mille euros. Il a de grands formats, c’est vrai, mais ça peut aller très vite sur 20 ou 25 millions de francs Cfa. Et pourtant, c’est un jeune de 34 ans. Mais, il a été validé en Occident», dit-il.
Il faut dire que ces foires et biennales qui s’organisent en Occident sont les principaux lieux de vente pour les artistes africains. Selon Aliou Ndiaye, 50 à 60% de leurs ventes se font dans les foires d’art contemporain comme la Foire 1-54, qui est une foire d’art contemporain itinérante qui s’organise entre Paris, Londres et les Etats-Unis. 
Tout aussi bien coté, Soly Cissé qui a fait des expos au Grand Palais à Paris.  Il a fait la Divine comédie qui a fait les 5 continents et c’est comme ça que la cote d’un artiste est fixée. Dans quelle collection il se trouve, quelle exposition il a faite, exposition-vente ou biennale.
Les œuvres d’un artiste peuvent coûter 1 million le 16 mars, le 17 mars, elles sont collectionnées par le Museum of art de New York (Moma) et se vendre à 10 millions», souligne M. Cissé.
«C’est un ensemble de critères. D’abord la nature des œuvres de l’artiste, le discours qui les accompagne. Il y a aussi la renommée de l’artiste, à quel point il est traité dans les médias nationaux et internationaux, les ventes, les galeries où il a signé», ajoute Aliou Ndiaye.
Dans cet exercice de cotation, des noms reviennent régulièrement pour le Sénégal : Soly Cissé, Ndary Lô, Ousmane Sow, Awa Seni Camara. Mais, à l’échelle africaine, les artistes les mieux cotés sont camerounais, ghanéens ou nigérians. À l’image du Nigérian El Anatsui dont les œuvres atteignent le million de dollars ou encore Kehinde Willey qui figure dans le top 500 dressé par le rapport Artprice et qui a installé la résidence d’artiste Black Rock à Dakar. 
Plus près de nous, Mohamed Cissé cite les noms de Soly Cissé, Badu Jakk, Ndary Lô dont les œuvres ont déjà été vendues à 800 000 euros, Barthélemy Toguo, Ouattara Watts, Amadou Sanogo. 
Plus rares encore sont les femmes artistes à figurer sur ces listes. Dans un article paru sur Ashakan, Khady Gadiaga s’interroge sur la place des femmes dans l’art contemporain, tout en dénonçant «la sous-évaluation des femmes».
«Les artistes vivants masculins tiennent ainsi 93% des meilleures enchères à l’échelle mondiale. Bien que les artistes soient plus nombreuses aujourd’hui et que quelques grands marchands tentent de corriger les disparités de prix, la sous-évaluation féminine fait de la résistance sur la scène contemporaine. Yayoi Kusama, la plus chère de la gent féminine, est classée 34ème meilleure enchère après 33 records masculins. Par ailleurs, force est de constater que cette meilleure enchère féminine est dix fois moindre que la meilleure enchère au masculin et qu’un gap de près de 47 millions de dollars sépare le record de Koons de celui de Kusama !», constate-t-elle.
Quant aux artistes qui n’ont pas encore accès à ce marché international synonyme d’opulence et de succès, ils peuvent toujours faire leurs armes parmi les galeries d’art qui s’investissent localement dans la recherche de nouvelles pépites. Même si là encore, le résultat n’est pas garanti.

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