Alors que des corps restent encore engloutis dans les eaux suite au drame qui a frappé Mbour, Oulèye Diatta, une rescapée qui a la chance d’échapper à la mort, raconte l’horreur.
Oulèye Diatta, une résidente de Thiocé Est et épouse du quartier, a survécu au tragique naufrage de la pirogue de fortune dirigée par le capitaine Cheikh Sall, qui a sombré au large de Mbour. Rescapée de cette catastrophe qui a coûté la vie à 39 personnes, Oulèye, voisine du capitaine, est encore sous le choc. Gravement blessée, elle a partagé son témoignage poignant avec L’Observateur.
Toujours figée par l’horreur de l’événement, la jeune femme, encore pensive et désorientée, a relaté les terribles moments du naufrage, revisitant les scènes dramatiques de ce voyage périlleux qu’elle espérait accomplir pour atteindre l’Espagne.
«Je m’appelle Oulèye Diatta candidate à l’émigration clandestine à bord de la pirogue du capitaine Cheikh Sall qui a chaviré en pleine mer, dimanche passé, au large de Mbour, alors que nous étions en partance pour l’Espagne. L’organisateur de ce voyage est mon voisin de quartier, un homme très serviable, qui a toujours fait de son mieux pour aider les gens de son entourage à avoir de meilleures conditions de vie. Pour preuve,
« Le jour du voyage, j’ai embarqué avec mon mari »
« Il y a quelques semaines, quand j’ai entendu dans le quartier parler d’un projet de voyage initié par Cheikh Sall, je l’ai approché pour lui faire part de mon souhait de rallier l’Europe. Mais n’ayant pas d’argent pour payer la traversée, je lui ai promis, à l’image de bon nombre de candidats qui n’ont payé leur transport qu’une fois en Espagne, de lui rembourser son argent dès que je commencerais à travailler. Dans un premier temps, il m’a conseillé d’attendre le prochain voyage, puisqu’il ne voulait pas faire de surcharge de passagers. Ce n’est que plus tard qu’il m’a demandé de me préparer. Le jour du voyage, après avoir confié mon enfant à ma maman à Dakar, j’ai embarqué, avec mon mari, à bord de la pirogue. Contrairement à moi, lui qui avait déjà payé le billet de son transport, portait un gilet de sauvetage. »
« C’est au moment de récupérer le gilet que la tragédie est survenue »
« Après 5 km de traversée, Cheikh Sall, le dernier à rejoindre la grande embarcation en haute mer, a demandé à un des passagers de me donner un gilet. Et c’est au moment de récupérer le gilet que la tragédie est survenue. Quand il a pris place et mis le moteur de la pirogue en marche que des passagers de l’autre côté, juste en face de nous, ont paniqué et sont venus sur nous. Sans tarder, le capitaine est intervenu, demandant à tout le monde de rester tranquille à sa place initiale. Il n’avait pas terminé de parler que des passagers sur la même rangée que moi, se sont rués vers ceux d’en face. La pirogue commença alors à taguer. Malgré cette panique généralisée, Cheikh Sall s’est montré très serein, prononçant sans cesse le nom d’Allah. Soudain, la pirogue s’est renversée. »
« Alors que je me débattais sous l’eau, le capitaine m’a remis au dessus de la pirogue »
« Alors que je me débattais de toute ma force sous l’eau, je l’ai entendu à plusieurs reprises crier mon nom. C’est ainsi qu’il est parvenu à me saisir par la main pour me remettre au-dessus de la pirogue. Il a malheureusement voulu sauver beaucoup de gens, avant d’aller à la rencontre d’autres pirogues qui rejoignaient le quai de pêche de Mbour. Avant l’arrivée des secouristes, plusieurs candidats ont réussi à s’agripper à la pirogue. Mais les fortes vagues ont emporté la quasi-totalité des passagers. Finalement, je fus la seule femme restée sur la pirogue, en compagnie de deux pêcheurs qui me réconfortaient, m’enjoignant de ne jamais lâcher la corde qui me servait de point d’appui. »
« Je voyais des gens mourir sous mes yeux, bavant abondamment…»
« A ce moment, tout mon désir était de me laisser emporter par les vagues, tellement j’étais épuisée. Sous la force des vagues, la pirogue tournoyait à tel point que la corde à laquelle je m’accrochais a fini par céder. Je voyais des gens mourir sous mes yeux dans des conditions très douloureuses, bavant abondamment. Certains tendaient vainement la main, à la recherche d’hypothétiques secours. A un moment, j’aperçus mon mari au loin flottant sur l’eau, un de ses amis a nagé jusqu’à moi, me demandant de ne jamais abandonner au risque de mourir. Quelques instants après, je l’ai vu mourir. En voyant ses images ponctuées de cris de détresse des candidats, j’ai complètement perdu espoir. Je ne voyais que la mort devant moi. »
« J’ai vu de nombreux corps sans vie emportés par les vagues »
« A force de m’accrocher à la pirogue en mouvement, j’ai eu plusieurs blessures sur presque tout le corps. J’ai vu de nombreux corps sans vie emportés par les vagues, alors que peu avant, tout le monde nourrissait l’espoir de rallier l’Espagne. Même après le chavirement, au milieu des cris des passagers, le capitaine s’interrogeait sur les causes du drame. Ce n’est que plus tard que les sapeurs-pompiers sont venus nous assister. Après mes soins, j’ai regagné mon domicile conjugal. Vers 20 H, il est venu s’enquérir de ma situation avant de retourner chez lui. Même entouré de ma belle-famille et de mes proches, il m’est impossible de me départir des images du chavirement. Elles se bousculent sans cesse dans ma tête. La nuit, je reste sur mon lit, les yeux ouverts. J’ai frôlé la mort. »